mardi 26 octobre 2010

Une pause Facebook forcée

 

Publié le 25 octobre 2010 à 05h00 | Mis à jour le 25 octobre 2010 à 11h19

Une pause Facebook forcée

Ariane Lacoursière
La Presse
Trois jours. C'est le temps qu'a duré l'expérience menée par Cathy Thibeault, enseignante de cinquième secondaire à l'école Paul-Arsenault de L'Assomption. Durant cette période, les élèves de Mme Thibeault ont dû respecter une liste de restrictions, dont celle de s'abstenir d'utiliser les technologies. Après trois jours passés sans iPod, téléviseur ou ordinateur, La Presse est allée à la rencontre de ces jeunes, qui ont tiré des conclusions touchantes de leur expérience.
Enseignante du cours Éthique et culture religieuse, Mme Thibeault remarque depuis longtemps l'omniprésence de la technologie dans la vie des adolescents québécois. «Ils ont le cellulaire toujours en mains. L'iPod sur les oreilles. Dès qu'ils ont une chance, ils se ruent sur leur ordinateur pour consulter Facebook...» explique-t-elle. Mme Thibeault a donc voulu savoir comment ses élèves réagiraient en se privant pendant trois jours de ces appareils. L'enseignante a fait lire des écrits du philosophe Thomas More à ses élèves. Et, avec leur accord, elle a décidé de mener une expérience pour les amener à «se concentrer sur ce qui est essentiel à la vie». «À ma grande surprise, 270 de mes 275 élèves ont embarqué. Ils ont joué le jeu à fond», dit-elle.

En plus de ne pouvoir utiliser d'appareils technologiques, les jeunes devaient faire preuve de simplicité dans tout. Aucun maquillage n'était autorisé. L'habillement devait aussi être simple et confortable. Jean-Cédric avait d'ailleurs bien compris le concept. Le jour du passage de La Presse, il était vêtu d'un bonnet en forme de tête d'ours et portait des pantoufles de «Krusty le clown», célèbre personnage de l'émission de télévision Les Simpson.

Plusieurs élèves étaient aussi en pyjama ou en robe de chambre. «Habituellement, les jeunes viennent à l'école comme s'ils sortaient dans un club! Je voulais leur rendre la vie plus simple pendant quelques jours. Je voulais qu'ils ne se préoccupent pas de ce que pensent les autres. Qu'ils mettent ce qu'ils veulent», relate Mme Thibeault.

Une véritable révélation

Pour Valérie, ces journées sans maquillage ont été une véritable révélation. «Je ne pensais pas pouvoir venir à l'école sans maquillage. Mais je l'ai fait. Je remarque que tout le monde a ses petits défauts et j'ai appris à m'apprécier plus, raconte la jolie brunette. J'ai trouvé le monde beau. Même en pyjama! On était vraiment plus naturels.» Un avis que partage Nicolas: «Les filles sont plus belles sans maquillage», dit-il.

Mais c'est surtout la privation de technologie qui a amené les jeunes à s'interroger sur leurs habitudes. «On dirait qu'on est plus proches depuis qu'on n'a plus de cellulaire. Quand quelqu'un parle, tout le monde l'écoute. Personne ne texte un ami ou ne parle au téléphone, raconte Ariane. Quand on textes, on n'est pas aussi présent pour les gens autour de soi. Sans cellulaire, on a le temps d'écouter.»

La jeune fille à la tignasse blonde a d'ailleurs profité du fait qu'elle n'avait «rien à faire le soir» parce qu'elle «ne pouvait pas aller sur Facebook ni regarder la télé» pour aller souper chez sa grand-mère. «Ça faisait vraiment longtemps que je n'avais pas fait ça! J'ai étudié aussi. Mais le temps était long. La technologie nous permet de nous divertir.»

Isabelle a elle aussi profité de l'expérience pour passer du temps avec sa mère. «Quand je reviens de l'école, ma mère me demande tout le temps comment a été ma journée. Je réponds toujours: "Bien." Et je vais à l'ordinateur sur Facebook. Mais là, j'ai pris le temps de m'asseoir avec elle et de jaser. J'ai ri avec ma mère. J'ai joué aux cartes avec elle. Ça faisait tellement longtemps qu'elle pleurait presque tellement elle était émue.»

«Moi, j'ai pris le temps de parler à ma soeur. J'ai pris de ses nouvelles. Je lui ai demandé comment ça allait à l'école. Dans la vie normale, on ne prend pas assez le temps de se rendre compte de ce qu'on a autour de nous», note Catherine.

Pour Sandrine, le plus difficile a été de se départir de son cellulaire. «Je suis toujours en train de texter mes amis pour leur dire ce qui m'arrive. Mais là, ce matin, j'ai raté l'autobus et je ne pouvais pas le texter à personne! raconte-t-elle. On dirait que j'ai besoin de dire en tout temps ce qui m'arrive à toutes mes amies.»

Des devoirs mieux faits

Les enseignants, eux, ont surtout remarqué que les devoirs étaient mieux faits. «J'avais tellement rien à faire que je lisais le soir. J'ai presque fini ma lecture obligatoire et, croyez-moi, c'est un exploit!» dit Anthony.

Plusieurs adolescents de l'école Paul-Arseneault ont aussi profité de cette «pause Facebook forcée» pour se coucher plus tôt le soir. «Je me couchais à 21?h au lieu de 23?h! Je suis super reposée», rapporte Sophie.

Kim Garceau, qui enseigne le français en cinquième secondaire, a remarqué que ses élèves étaient plus reposés. «Ils ne dorment pas assez, nos ados!» déplore-t-elle, tout en citant en exemple Catherine, qui avoue ne dormir que de quatre à cinq heures par nuit.

Mme Thibeault souligne que plusieurs adolescents passent de longues heures le soir sur Facebook et peinent à en décrocher. «Une élève me racontait que le soir, elle a tellement peur de "manquer quelque chose" sur Facebook qu'elle attend d'être dans les dernières connectées avant d'aller se coucher. Ils sont accros de ce site», dit-elle.

Laurence reconnaît que plusieurs de ses collègues ne peuvent se passer de leurs téléphones cellulaires ou de leur ordinateur. «Ces trois jours m'ont permis de voir que la techno, ce n'est pas une nécessité dans ma vie», dit-elle.

La totalité des jeunes interrogés ont apprécié l'expérience. Mais plusieurs ont dit avoir trouvé le temps long, surtout le matin. «Les parents ne sont pas là le matin. Les jeunes déjeunent souvent seuls, en regardant la télé, note Mme Thibeault. Là, ils étaient obligés de manger sans rien! Ça a été difficile. Plusieurs se sont sentis seuls.»

Sophie reconnaît avoir trouvé le temps long. «J'ai surtout remarqué que je ne vois pas mes parents tant que ça! Ils ne sont pas là le matin. Ils arrivent tard le soir. Je me suis sentie très seule sans télé et sans ordinateur!»

Selon Gabriel, la solitude touche plus les enfants uniques. «Je suis très près de mon frère. C'est mon meilleur ami. Avoir du temps, ça m'a juste permis de me rapprocher encore plus de lui», dit-il.

Même s'ils ont tiré des conclusions intéressantes de leur expérience, plusieurs jeunes ont avoué que la première chose qu'il ferait une fois «libérés» de leur expérience serait d'«ouvrir leur cellulaire» ou de «passer des heures sur Facebook». «Moi, je vais me lancer sur mon iPod. Je n'en peux plus du silence!» lance Catherine.

cyberpresse.ca


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